Aux États-Unis, le mouvement en faveur du testing émerge au début du XXe siècle. À cette époque, en s’inspirant des travaux d’Alfred Binet et Théodore Simon, des réformateurs progressistes américains comme Edward L. Thorndike, Lewis M. Terman ou Henry H. Goddard développent des tests d’évaluation des capacités des enfants, notamment du quotient intellectuel, dans le but de révéler et d’orienter les élèves considérés comme les plus intelligents et les plus doués vers des filières (tracks) académiques et de regrouper dans des filières plus pratiques et professionnelles ceux qui sont supposément moins dotés en intelligence. Compte tenu du rôle central joué par les idées eugénistes dans le développement de ce mouvement et de l’impact considérable qu’il a eu sur la sélection et l’orientation des élèves au cours du XXe siècle, les historiens américains de l’éducation, suivant l’interprétation proposée dès 1981 par Stephen J. Gould dans son ouvrage majeur intitulé The Mismeasure of Man, inclinent, dans l’ensemble, à présenter ce pan important de la réforme scolaire progressiste américaine comme une tendance élitiste et socialement conservatrice ayant eu le plus souvent des effets délétères sur l’enseignement américain.

En effet, les partisans de ce mouvement sont souvent catégorisés dans l’historiographie comme des « progressistes administratifs » (administrative progressives) ayant contribué à l’instauration d’un système éducatif américain inégalitaire et polarisé tant du point de vue social que racial. Si une telle interprétation souligne à juste titre les présupposés eugénistes, de classe et de race qui ont présidé au développement des tests dans l’enseignement américain, elle a néanmoins le défaut de réduire le mouvement à ces présupposés, occultant par là même ses liens avec la pensée démocratique en éducation. C’est précisément ces liens que cette communication entend mettre en lumière en montrant que le mouvement en faveur du testing peut aussi être conçu comme une tentative de réalisation de l’idéal américain de démocratie dans et par l’éducation. À partir de l’analyse des écrits et travaux des pères fondateurs de ce mouvement, il s’agira en effet de mettre en exergue le fait que ces réformateurs progressistes entendaient fonder scientifiquement un système éducatif méritocratique attribuant à chacun sa juste place dans le corps social dans le but de faire advenir l’utopie américaine d’une démocratie conçue comme une aristocratie naturelle.